Qui trop boit jeune, de la sagesse des vieux se prive !
À boire ses vins trop jeunes on en oublie la complexité réelle des vins vieux.
Ce proverbe Mésopotamien (625 Avant J.-C) entendu de la bouche même de Nabuchodonosor II en sa villa cossue située entre le Tigre et l’Euphrate alors qu’il envoyait un esclave à la cave fouiller parmi les amphores est, aujourd’hui, toujours d’actualité. À l’époque pourtant, point d’amphores millésimées, ou si peu. Le vin jeune affichait déjà une gueule de vin vieux ; imaginez alors sa tronche après quelques années sous terre (cuite). Même coiffées d’une capsule à vis, point de salut pour le contenu des amphores en question ! Il en sera ainsi jusqu’à l’apparition des bouteilles de verre au XVIIe siècle dont l’obturation avec du liège (déjà connu dans la Grèce antique) allait permettre, pour les meilleurs vins du moins, une bonification substantielle.
L’idée de vins anciens, voire de vins qui n’auraient que « quelques » décennies de vie utile derrière le goulot relève encore du phantasme populaire. Plus le vin est vieux et meilleur il est, selon ce qu’il m’est permis d’entendre ici et là, depuis de nombreuses années. Mais aussi un mythe qui a la couenne dure ! Il est étonnant à ce chapitre de constater que ces vins dits « modernes » élaborés depuis le dernier quart de siècle ne semblent guère tenir leur promesse de longévité, du moins par rapport à ces crus qui se sont frottés aux meilleurs millésimes du XXe siècle. Mais là n’est pas mon propos aujourd’hui.
L’époque est aux fameux petits fruits rouges !
Nous sommes dans une société qui va vite. Votre bouteille de vin achetée à la SAQ n’a qu’une espérance de vie de quelques heures, en moyenne. Achetée, bue et pissée, pour le dire stoïquement. Cycle de la vie humaine que l’on pourrait étendre à d’autres registres tant la consommation et le rythme qui l’accompagne font fi du temps qui lui-même peine à mettre les pendules à l’heure. Résultat ? Nous buvons nos vins sur le fruit, rien que sur le fruit, tout sur le fruit. L’ère est aux petits fruits rouges mais surtout aux vins glouglous bavant de buvabilité et nos palais sont à ce point fidélisés aux vins juvéniles que de les consommer ainsi relève à tout coup de l’infanticide fermentaire.

Boire un vin jeune donnerait en quelque sorte l’impression de plonger dans un bon roman pour ne lire que le premier chapitre, de voir une pièce de théâtre pour quitter à l’entracte, d’écouter un concert pour s’esquiver entre deux mouvements ou de faire l’amour sans se regarder dans les yeux ou pire, répondre à un tweet de passage. Boire un vin jeune en fait, – ces 95 % vendus en tablettes qui ont tout au plus 5 ans d’âge – c’est voir se profiler la pointe de cet iceberg qui cache à mon sens la nature véritable du vin bien né et que le temps seul porte à des confessions que n’aurait pas renier Casanova, le Cardinal de Richelieu ou encore le conseiller en vin de votre succursale la plus proche. Et quand je dis bien « bien né », je pense à ce vin au potentiel de garde que lui confère cette alchimie si particulière et autrement mystérieuse qui s’opère entre cépage, terroir, climat et main humaine. Celui en somme que l’on croit saisir mais qui vous tient lui, par la barbichette.
Sans qu’il n’y ait véritablement anguille sous roche, la dégustation de vin jeune a ceci de doucement pervers qu’elle vous impose ce diktat voulant que tout ce qui n’est pas jeune, qui n’a pas ce goût primaire de petits fruits rouges ou cette déflagration fruitée à vous faire bavez comme un bébé a un goût… bizarre. Ainsi, santal, encens, truffe, mousseron, écorce, musc, silex ou même selle Hermès montée par une Amazone sous un soleil de plomb dans un épisode de Game of Thrones apparaîtront suspect aux nez vierges d’aventures tertiaires.
Cela me rappelle cette anecdote où, un dîneur particulièrement bien garni du porte feuille et confortablement installé dans un établissement de prestige, se voit proposer par le sommelier, tour à tour, un Clos Ste-Hune 1990 de chez Trimbach, un Clos Jebsal 1990 en Pinot Gris Vendange Tardive de chez Zind Humbrecht, un Château Sociando-Mallet 1998 et un Château Palmer 1983, proposition que le dîneur en question décline comme si la peste bubonique l’attendait au vestiaire en sortant. Sa répartie ? « Mais Mooosieurs, sachez avant tout que je suis capable de me payer un vin de l’année, môa, oui Mooosieurs ! ». Et le sommelier, se souvenant du proverbe de Nabuchodonosor II de répondre dans la foulée : « Qui trop boit jeune, de la sagesse des vieux se prive » avant de lui tourner le dos en marmonnant un « pauvre imbécile ! » bien senti.
Le plaisir de boire de sages paroles !
Quel bonheur de profiter de votre sagesse.