
« C’est maintenant qu’il faut boire ». Cette citation d’Horace pour souligner la mort de Cléopâtre précédait sans doute – bien que mes sources ne le confirment pas de façon irréfragable – cette autre invitation qui veut que « C’est maintenant qu’il faut manger ». Boire et manger donc, pour le meilleur tout en évitant bien évidemment le pire.
Je combinais les deux lors d’un récent séjour parisien pour souligner mes 70 millésimes au compteur du grand sablier du temps. S’en sont visités, dans l’ordre, bistrots, bistrot un rien plus gastronomique et une seule cuisine étoilée – mais quelle cuisine ! – pour faire valoir à la fois la grandeur de l’homme à restaurer son prochain et ce même prochain à se pourvoir d’un petit moment d’éternité, hors des vicissitudes d’un monde qui actuellement n’en a visiblement rien à cirer de luxe, de calme, de jouissance et de volupté.
Un établissement qui se respecte ? Ce n’est pas une question de prix mais d’esprit. C’est avant tout celui qui restaure, conforte et prend sous son aile la destinée des sens du dîneur en y ajoutant cette petite étincelle de vie qui fait la différence. Un modeste estaminet vaut tout autant en ce sens qu’un palace « michelinul » constellé d’étoiles si le cœur n’y est pas. Un œuf meurette classique bien exécuté par exemple vaut bien n’importe quel délire culinaire excentrique digne d’un tableau de Piet Mondrian.
La carte des vins quant à elle, qu’elle soit courte ou interminable, doit bien sûr cadrer avec le lieu mais aussi avec ce goût de l’aventure que l’on s’offre pour explorer ces cuvées inconnues que l’on veut épingler à son tableau de chasse. Ne le niez pas, vous avez déjà la chair de poule à l’idée de savourer des yeux la carte des flacons que vous partage généreusement et sans ostentation le sommelier maison !
Vous comptez aller vous confessez sous peu dans cette reine des cathédrales magnifiquement restaurée qu’est Notre-Dame ? Voici trois choix personnels parmi mille autres à reléguer le péché de gourmandise au rang des perversions d’opérettes.
AU SAUVIGNON. Je m’y attarde depuis mes toutes premières visites dans la capitale. Depuis 71 ans, le vin des copains y côtoie une clientèle fidèle locale souvent apostrophée par leur prénom. Cuisine simple, courtoise et rapide où trône le pain Poilâne arrosée d’une courte carte où le sauvignon est à l’honneur, qu’il soit de Quincy, de Reuilly, de Sancerre, de Pouilly ou d’ailleurs. Vous avez déjà visité la cave à vin du grand magasin Le Bon Marché Rive Gauche et avez une petite soif ? Une escale au Sauvignon situé tout près s’impose alors! ***
https://www.ausauvignon.com/

BISTROT PAUL BERT.
Cette maison familiale était ma cantine au tournant du millénaire alors que je mettais sur pied à Paris L’école des femmes du vin. Ici, pas de concession sur la cuisson des pièces de viande. J’ai même vu à l’époque le patron jeter manu militari un client qui insistait pour s’assurer d’une cuisson dite « bien cuite » pour sa pièce de viande qui pourtant n’avait strictement rien à voir avec une « entrecôte de tofu » ! Carte de vin à bon prix qui régalera le client pointilleux. Lors de mon passage subsistait un Pauillac Grand-Duy Ducasse millésime 1987. Pas un grand millésime je sais mais le risque en valait la chandelle (162 dollars canadiens taxes et service compris). Après avoir trifouiller le liège qui avait depuis longtemps rendu l’âme (j’avais insisté pour m’en occuper auprès du garçon car j’adore ce type de situations périlleuses), le vin, évolué certes, avait conservé un équilibre d’ensemble enviable. D’autres quilles se sont succédées ce soir là avec un bonheur et une émotion à peine dissimulée. ***1/2
https://bistrotpaulbert.fr/

COMICE. Mettons rapidement les cartes sur table, cela en toute transparence : La sommelière canadienne Etheliya Hananova - « C’est maintenant qu’il faut boire » - et son compagnon californien Noam Gedalof - « C’est maintenant qu’il faut manger » - nous accueillaient gracieusement chez eux pour un menu Signature pas piqué des hannetons. La classe quoi ! Table gastronomique ? Assurément ! À l’inventivité et à la précision des mets servis par Noam s’ajoutait cette fine « étincelle émotionnelle » qui invite un plat inspiré à se sublimer, à l’image d’un vin dont on n’avait pas perçu au détour la pertinence du discours.
Ajoutez la fusion parfaite du verre et du plat et vous voilà confondu, non pas en excuses mais parce que vos sens ont depuis peu perdu le nord sans avoir la moindre intention à le récupérer. Des exemples ? Ce Carpaccio de noix de Saint-Jacques fenouil-radis-agrumes confits accompagné du Saumur Brézé « David » d’Arnaud Lambert ou encore ce homard bleu poché au beurre blanc côtoyant une portion généreuse de caviar Royal Osciètre sur fond de risotto Carnarolli, le tout servi avec la cuvée complantée Engelgarten 1er Cru de la maison Marcel Deiss. Les Parisiens appellent ça une « tuerie ». Moi, une douce folie… La vie ne mérite-elle pas d’être vécue, surtout à 70 piges ? ****1/2
https://comice.paris/
Autres arrêts dignes d’intérêt, pour s’arsouiller ou, plus sobrement, rêver le vin :
Legrand Filles & Fils -
https://www.caves-legrand.com/
Brasserie Lipp -
https://www.brasserielipp.fr/
Le Petit Verdot -
https://www.le-petit-verdot.com/