
Il y a ce moment magique au printemps où j’ai l’impression d’entendre éclater les bourgeons. Comme si la subite montée de sève leur faisait sauter le capuchon dans un débourrement sonore des plus criards. Et vive la vie ! s’écrie la vigne, à l’intérieur d’un cycle végétatif renouvelé depuis la nuit des temps. Faudra bien un jour d’ailleurs que quelqu’un m’explique pourquoi il faisait nuit au lieu de faire jour dans cette fameuse « nuit des temps » !
Enfin et quoiqu’il en soit, sommes-nous plus éclairés aujourd’hui ? Je veux dire, allons-nous voir derrière le temps le temps qu’il fait ? Ce temps de paresse, voire de petites contemplations, temps de sieste crapuleuse comme de sieste heureuse, temps enfin qui, mit bout à bout, permet de saisir ce qui nous a échappé alors que l’on est déjà pressé d’aller voir si le temps est meilleur ailleurs.
Prenons ces chevaux lents labourant le temps dans l’un des vignobles de la maison champenoise Louis Roederer. Se doutent-ils, par la magie de « l’effet papillon », que leur action toute simple mais combien nécessaire aura en amont un impact sur la dégustation du Roederer Brut Collection ? Il y a trop de sillons à retourner mais surtout de bonne moulée à avaler en fin de parcourt pour se poser la question. Si je soupçonne fort pertinente l’action de ces braves bêtes sur le terrain, il demeure que la suite de tous ces « petits gestes » qui culminent ultimement avec la dégustation ont certes leur importance. Surtout s’ils font preuve de patience et de… longueur de temps.
Le temps lent de la vigne… au verre.
LA FERMENTATION.
Précipiter la fermentation en l’inoculant de levures aromatiques ou autres ? Vous n’y penser pas vous rétorquera l’artisan-vigneron pas pressé pour deux euros. Encore ne faut-il pas qu’elle traîne comme le mentionnait à l’époque mon prof d’œnologie pour qui tout devait être emballé le plus rapidement possible pour éviter toutes contrariétés. Allez hop ! qu’elles bouffent le sucres ces levures pour que je puisse mettre en bouteille rapidement et livrer aux supermarchés et grandes surfaces qui ont besoin de pinards à écouler. Je préfère encore écouter, oreille collée sur la bonde des fûts, ces borborygmes profonds qui montent et racontent la lente transformation d’un microbiote des plus vivants. Comme chez Henri Bonneau et Jacques Reynaud à Châteauneuf-du-Pape ou chez Nady Foucault au Clos Rougeard en Loire. Des signatures de vin gravés dans un temps qui ne s’achète pas.
L’ÉLEVAGE.
Percevoir la notion de boisé lorsque l’on déguste sur fût est déjà le signe avant- coureur que le vin est peut-être lui-même déjà trop boisé. En fonction de ses cépages ou de son origine, le vin pourra prendre son temps en barrique, neuve ou usagée, sur une période classique de 18 mois comme par exemple dans le bordelais ou sur 10 ans comme il aime bien l’étirer en Espagne chez Vega Sicilia. Chacun racontera alors son histoire, patiné du souvenir des pleines lunes qui l’excitera en faisant frétiller ses lies fines ou au contraire le calmera lors de lunes descendantes. Sa respiration enfin, sans être en apnée, y est calme et mesurée, comme si sous le couvert de cette oxygénation ménagée, le vin constituait ses forces pour mieux les dissiper, bien plus lentement cette fois, sous le couvert du verre de la bouteille.
LE SÉJOUR EN BOUTEILLE.
Pour les mousseux de type méthode champenoise où la (re) prise de mousse assure à la fois un gain de pression sous l’effet du gaz carbonique et une subtile transformation en profondeur des saveurs liées au contact intimes avec les lies fines, le temps lent est l’élément clé. Quinze mois minimum obligatoire pour les seigneurs de Reims et d’Épernay mais pouvant, comme pour le cava espagnol, le spumante italien ou autres crémants français étirer le roupillon sur 24, 36, 48 ou même 60 mois à l’ombre des caves du producteur avant dégorgement. Ici, non seulement le silence est-il d’or mais… il dort. Quant aux vins tranquilles, ce séjour en bouteille pourra être troubler par une consommation à la va-vite ou, selon la majesté du cru, exiger une longue conversation avec le temps qui devient alors son allié et son confident, ambassadeur d’un temps passé oui, mais disponible pour en tirer tous les enseignements. Le temps lent sait raconter.
DANS LE VERRE.
La dégustation s’anticipe. Je crois savoir que le dramaturge et comédien Sacha Guitry avançait même, sans toutefois le citer correctement, que le meilleur moment de l’amour c’est quand la Dame monte l’escalier. L’anticipation met déjà l’eau à la bouche et lubrifie l’esprit pour la suite, que ce soit pour faire mousser le désir ou verser le vin dans le verre. Le temps lent opère encore sa magie lors d’une dégustation posée où l’on dit adieu aux soucis. J’ai écris cette chronique en tirant de ma cave deux flacons ensommeillés mais prêts à s’ajuster à la mouvance souvent intrépide de notre époque. Les voici, à peine greffés de quelques mots.
- Terre et Ciel 2017, Apostolos Thymiopoulos, Naoussa, Grèce – BIO – Bouchage : Liège aggloméré Diam 10 – (70,75 $ pour le millésime 2022 (1.5 L) – 13988142).
Ce 2017 format magnum est à point et le pur xinomavro qu’il contient fort réjouissant. Un assemblage de vieilles vignes (45 ans) issues des meilleures parcelles maison. Il y a ici des relents de nebbiolo mais avec le sourire en prime. Flaveurs fines, parfumées, presque délicates, nuancées d’épices, de tabac frais et de rose fanée, d’une fraîcheur, d’une longueur admirables. Non seulement une référence mais un must ! Surtout à ce prix.
(5+) ****
- Moulin Touchais 1997, Coteaux du Layon, Loire, France – Bouchage : Liège (Le 2005 est encore disponible à 63,75 $ - 13210621)
J’ai humé lentement, longuement. J’avais l’impression d’avoir sous les yeux la montre molle du célèbre tableau de Salvador Dali, avec ses ors riches et profonds et son tic-tac aphone et intemporel. Que de majesté que ce chenin doux aux débordements lascifs, dont la texture grasse mais ferme, enrobe et caresse, avec sa pointe miellée et safranée où le botrytis fait la cour à l’abricot confit et au gingembre frais. Le millésime 1947 acheté à la SAQ pour une bouchée de pain avait, à l’époque, eu cette conversation de boudoir, entre chien et loup, quand la nuit des temps avait encore le dessus sur le jour qui point.
(10) ****
AVERTISSEMENT :
À noter que le contenu Du Vin dans l’Encrier n’engage que l’Imagination Naturelle (I.N.) de l’auteur et n’a été, ni de près, ni de loin, en contact avec l’Intelligence Artificielle (I.A.).
SUR LE PLAN NOTATION
Le vin est noté dans l’absolu
et non dans sa catégorie sur une base de ***** avec des 1/2 *
* : Peu inspiré
** : Correct
*** : Bon vin
**** : Grand vin
***** : Exceptionnel
Quand le boire ?
(5) : À son meilleur d’ici 5 ans
(5+) : Gagnera à se bonifier après 5 ans
(10) : Atteindra son plateau de maturité après 10 ans
© : Gagnera à séjourner en carafe
À noter que toutes évaluations et notations sont relatives.
Elles s’inscrivent dans une idée de temps, de lieux, de circonstances, de qualité d’échantillons et bien sûr de l’humeur – bonne ou mauvaise - du dégustateur !
À noter aussi que TOUS les échantillons reçus sont dégustés par l’auteur. Ils sont complétés d’achats ponctuels à la SAQ.
Les quantités disponibles peuvent fluctuer d’une succursale SAQ à l’autre.