Pourquoi suis-je un inconditionnel des vins de Loire ? C’est tout bête : parce qu’ils sont l’essence même des principes essentiels liés à la Buvabilité, à la Palatabilité et à la Digestibilité. Ici l’indice BPD devient rapidement BPDB si on y ajoute l’indice Bonheur. Buvez un muscadet de « roche », un anjou de « dentelle », un saumur de « perles », un layon de « velours », un chinon « d’étoffe », un vouvray de « craie », un sancerre de « vertiges » ou un reuilly de « fruit » et vous voilà déjà frôlant un indice BPDB jalousé avec une bonne part d’agacement par tous ceux qui cultivent un vignoble dans le monde. J’ai pu vérifier la chose en tout début de voyage dernièrement en m’attablant au bistro Le Comptoir d’Yves Camdeborde au Carrefour de l’Odéon à Paris devant une bouteille de Sylvie Augereau joyeusement nommée « À la bonne heure ! », un saumurois 100% pinot noir si vulnérable et si sensible que j’ai bien versé une larme juste à le regarder. C’est aussi ça la Loire.
En me rendant sur place en Loire, je ne me doutais nullement à quel point sols et sous-sols signent avec une telle acuité le caractère variétal des nombreux cépages. Que ce soit, en blanc, le melon de Bourgogne dont la production moyenne compte pour 35 %, le chenin blanc (19 %) et le sauvignon blanc (10 %), suivis par le chardonnay (7%), la folle blanche (4%) et autres, tel l’énigmatique romorantin dont Henry Marionnet préserve farouchement pour sa part la mémoire avec ses vieilles souches pré-phylloxériques (1850). Côté rouge, le merveilleux cabernet franc s’offre 30% des parts de gâteau (de marc) suivi par le gamay (19%), le grolleau (8%), le pinot noir (7%), le cabernet sauvignon (5%) et les autres dont le pineau d’aunis, le côt, la négrette ou encore le pinot meunier. Au total et pour les mordus de chiffres, la Loire ce sont 2 700 vignerons, 250 millions de bouteilles, 42 000 hectares de surface viticole dont 80 % de domaines engagés en agriculture biologique ou en certification environnementale. Un presque jardin d’Eden.
La mosaïque des sous-sols est à la fois facile et compliquée à saisir. Disons, grosso modo que le Massif Armoricain avec ses roches éruptives, gneiss, micaschistes, granits et orthogneiss forme la base mère à l’ouest, dans le Nantais comme dans l’Anjou alors que le fameux tuffeau, le calcaire (prolongement du Bassin Parisien), les argiles à silex et autres graves fines assurent aux cépages plantés du côté de Saumur, de la Touraine, comme du centre Loire à Sancerre, Menetou-Salon, Pouilly-Fumé et Quincy, de solides assises assurant des clartés d’expressions uniques, découpées au scalpel. Le plus fascinant demeure encore et toujours la recherche de ce point d’équilibre où les maturités phénoliques s’obtiennent sans que les vins n’aient à souffrir de titres alcoométriques susceptibles de vous plomber les ailes et vous piétiner le cerveau. D’où cet indice BPDB élevé.
Et le melon de Bourgogne là-dedans ?
À titre de Chevalier du Chapitre des Entonneurs Rablaisien de Chinon (section cabernet franc) et de Compagnon du Beaujolais (section gamay), j’aspire secrètement depuis des lustres (un lustre est l’équivalent de 5 ans selon la société antique) - sans toutefois tout à fait oser sortir du placard par peur de me voir traité d’avant-gardiste par certain -, à la distinction « BPDB melon de Bourgogne » dont la prononciation seule ruisselle à mes oreilles comme de la joie pure embouteillée. Et de la joie pure embouteillée, Mesdames et Messieurs, nous en avons bien besoin par ces temps chaotiques que nous vivons !
J’avais fait il y a un quart de siècle quelques incursions en Muscadet. Une région encore « ensommeillée » mais dont je pressentais un réel potentiel en savourant les cuvées de vignerons à mon sens encore trop peu connus. J’avais l’impression paradoxale d’une léthargie dans un coin de pays où l’expression du cépage roi melon de Bourgogne avait tout ce qu’il fallait pour fouetter les troupes, ne serait-ce qu’en raison de cette acidité jubilatoire à vous faire briller l’émail des dents. Ces Guy Bossard, Günther-Chéreau mère et fille, Jo Landron, Luneau-Papin, Ragotière et autre Grenaudière. La proverbiale générosité des vignerons avait fait en sorte que je puisse méditer alors des 1939, 1945, 1955 et autres 1961 tout simplement mémorables. Le temps ici prenait son temps.
Une récente visite en 2024 confirmait non seulement que le muscadet, en raison du bouleversement climatique déjà à l’œuvre, s’inscrit parfaitement dans son époque en raison de sa proverbiale fraîcheur naturelle mais que les séjours sur lies - qui parfois atteignent plus de 50 mois (!) - trouvent dorénavant un équilibre, voire une maîtrise dans l’exécution qui atteint des sommets. C’est avec les muscadets du Domaine de la Pépière (crus Gorges, Pépière, Clisson), et ceux du Domaine Jérémie Huchet (cru Château Thébaud, Goulaine, Clisson) mais encore et surtout avec le topissime Jo Landron au Domaine du Breuil (cru La Haye Fouassière) que j’ai tout de suite compris que le muscadet s’inscrivait désormais parmi les grands vins blancs de la planète vin. Et que de progrès accomplis avec ça !
Avec l’homologation de 10 crus tirés d’une cartographie très fine de leur réalité qualitative sur le terrain, l’amateur peut désormais explorer à sa guise ce coin de pays nantais aux influences Atlantique évidentes. Des crus qui comptent pour 3 % de la production et où, pour l’ensemble de l’appellation, 450 vignerons bichonnent quelques 6000 hectares (dont 20 % bios) pour environ 35 millions de bouteilles dont 20% à l’export. Clisson, Gorges, Le Pallet, Goulaine, Château Thébaud, Mouzillon Tillières, Monnières Saint-Fiacre, La Haye Fouassière, Vallet et Champtoceaux. 10 crus en Muscadet ? Sans doute l’interface de ces 10 cru en Beaujolais. Je sens que ma propre distinction « BPDB melon de Bourgogne » n’est pas loin ! Surtout que par leur sincérité, leur souplesse et leur vitalité, ces deux vins possèdent quelques réelles affinités. Ne serait-ce que pour les coquillages pour le premier et la volaille de Bresse pour le second
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