Et si on buvait du CHABLIS...
… avec une andouillette ?
13 juillet 2024
Si au Québec « tout commence par un Q et finit par un bec », à Chablis on commence avec une andouillette avant d’aller faire trempette! Et quand je dis trempette je dis bien généreusement mouillé avec du vin de chablis. Qu’il s’affiche parmi les 7 climats en grands crus (102 hectares), 17 autres climats en premier cru (pour 778 Ha), 3712 hectares en chablis sur sous-sols majoritairement de type kimméridgien ou, encore, sur les 1230 autres hectares de petit chablis plantés sur les plateaux environnants, ce chardonnay d’exception unique au monde donne toujours cette impression de presser jusqu’à la dernière goutte minérale des pans entiers de marnes grises et de calcaire blanc tant la virtuosité des sols chantent ici le vin avec une insoutenable vibrance de tonalités. L’andouillette, vous vous en doutez, doit être à la hauteur du candidat !
Bon, j’aurais pu faire plus court mais je suis comme ça. Ce blanc sec me hante depuis des lustres soit, pour ma part, et selon l’expression inventée à l’origine dans l’antiquité romaine, depuis très exactement 10 lustres bien comptés (un lustre pour celle et ceux qui n’ont pas fait leur cours classique est l’équivalent de 5 ans). Je ne fais pas exception. Il existe bon nombre d’autres « déviants » comme moi, des gens dont le vin de Chablis est l’étalon ultime en matière de blanc sec – concédons que le grand Montrachet n’est pas lui non plus piqué des hannetons! – et qui le considèrent comme la référence ultime en matière de chardonnay. Vous aurez rapidement compris qu’avec ses quelques 5822 hectares, soit à peine plus que l’appellation Saint-Émilion à elle seule, le « vrai » chablis est une denrée rare sur le marché mondial. Et c’est peu dire que les amateurs se multiplient !
Mais avant de poursuivre, histoire de confortablement lubrifier cette chronique, débouchez sans gêne ce délicat, ce spirituel Chablis bio d’Isabelle et de Denis Pommier dont vous pourrez glaner les commentaires de dégustation dans la section Grappillés de ma plateforme stubstack.
Chablis telle une reine araignée
À vol d’oiseau, Chablis donne l’impression d’une araignée (ou d’une étoile de mer pour les plus peureux) dont les nombreuses pattes s’étirent en autant de petites vallées de part et d’autre du Serein. Reprenons cette même araignée et imaginons maintenant la « toile » dont les fils ainsi tissés créeraient une ondulation si fine sous l’archet des pattes arachnéennes, que l’on aurait peine à sentir la vibration dégagée. Pourtant elle existe : C’est la modulation minérale du vin de chablis. Unique en son genre. Une modulation aussi distinctement perceptible qu’elle en devient rapidement fascinante sur le plan des interprétations ressenties. Un peu plus et on entendrait l’araignée en question jouer de la harpe minérale !
Le vigneron chablisien parle avec beaucoup de respect de ses collègues. Normal, tout le monde se connaît. Dans la catégorie « Ils ont fait leurs preuves » les noms de Bernard Raveneau et de Vincent Dauvissat trônent au sommet. Pour les avoir tour à tour rencontrés, des hommes en retrait qui laisse parler leurs vins. Simplicité, modestie, savoir-faire, légués du paternel alors qu’ils gambadaient déjà tout jeune dans les vignes comme au chai. Chez eux, la technique ne prend jamais le pas et la mise au monde du vin s’égrène au fil des jours, par observations fines et ajustements perpétuels
En fait, Raveneau (dont la fille Isabelle a repris les rênes) et Dauvissat – je le dis sans flagornerie - sont des maîtres au sommet de leur art mais ils seront les derniers à l’admettre. Il y a quelque chose d’organique et de vital ici, un souffle qui vient de loin et qui monte dans chacune de leurs cuvées, porté par une compréhension quasi « animale » du terroir et une vision d’ensemble qui interdit tout confinement trop ésotérique. L’utilisation de barriques devient chez eux un poumon supplémentaire pour mieux en ventiler l’esprit et en affiner la sève. Une Preuses de Dauvissat ou un Valmur de Raveneau sont non seulement des privilèges à ne pas gaspiller mais surtout, les illustrations abouties de vins inoxydables aux modes qui laissent dans leur sillage une espèce de nostalgie confortable dont ne veut jamais se défaire. Des vins intemporels.
Revenir à Chablis c’est un peu comme revenir au pays. On y sent une communauté bien serrée mais en même temps discrète, voire secrète. Une visite en novembre sous des ciels gris charbon libérant des pluies infinies ne ressemble pas à une escapade en fin de mois de mai où les sourires s’ouvrent comme des fleurs à l’aube dans cette petite commune où tout le monde se connait. J’ai pu en faire les frais lors d’une invitation de la Commission Chablis du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne en mai dernier en compagnie de la dynamique entrepreneure/sommelière Jessica Harnois. En ce presque début d’été, peu de touristes et des soirées, même la fin de semaine, qui se terminent tôt au cœur de la petite ville. Pour la vie nocturne on repassera. Pas surprenant d’ailleurs. Le chablis n’est-il pas un vin diurne, dynamique, plein d’éclats ?
Retenons déjà les quelques restaurants visités, de très belles surprises considérant mes premiers séjours sur place il y a bien près de 40 ans de cela ! Les cartes des chablis proposés vous tendent la main et votre main s’empare rapidement d’un verre souvent à bon prix, toujours excitant. Avant de visiter la maison William Fèvre par exemple, réservez chez Le Maufoux (rue Jules Rathier) ou optez encore pour Chablis Wine Not (rue des Moulins) à deux pas de chez Fabien Moreau (26 avenue d’Oberwesel) ou du Domaine Pinson (5 Quai Voltaire). Vous passez au Domaine des Malandes (17 rue Robert Schuman), au Domaine Long-Depaquit (45 rue Auxerroise), chez Pascal Bouchard (3 rue du Pressoir), au Domaine Laroche (22 rue Louis Bro) ou encore chez Gérard Duplessis (5 quai de Reugny) ? Faites-vous plaisir en vous attablant Au Fil du Zinc (18 rue des Moulins) ou au restaurant Le Kimm & Ridge (19 rue du Maréchal de Lattre de Tassigny). Terminez votre virée chablisienne en visitant Eve Grossot (Domaine Corinne et Jean-Pierre Grosot, 4 route de Mont de Milieu) et Nathalie Oudin (Domaine Oudin, 5 rue du Pont) avant ou après avoir visiter la Cité des vins et climats de Chablis (1 bis rue de Chichée) où une petite table et ses produits locaux sont largement arrosés par du bon chablis
Ils sont effectivement meilleurs que jamais les chablis. Malgré des oscillations de plus en plus dramatiques liées à la cata-climatique qui se manifeste avec plus de mordant et d’imprévisibilité au fil des ans. Les périodes de gel, de grêle, de sécheresse, de coulure, de mildiou s’enfilent ici en fragilisant une production déjà confidentielle avec un impact certain sur les prix qui se sont « ajustés » au fil des dernières années comme vous avez pu le remarquer. Est-ce un frein à leur consommation ? Faudra m’enfermer sans tire-bouchon dans la cave à vin de Vincent Dauvissat (8 rue Émile Zola) ou de Thomas Pico (Domaine Pattes Loup, 2 rue Nicolas Droin) ne serait-ce que pour que je pense réduire ou stopper toute dégustation ! Ce qui n’est pas pour demain.
Quelques chiffres clés nous apprennent que « Si la consommation de vin de Bourgogne est bien présente au Canada, le Québec est de loin le marché le plus important avec 65 % des importations pancanadienne, ce qui place le pays de Vigneault, Gauthier et Charlebois comme étant le 7e marché devant l’Allemagne et les Pays-Bas. » L’appellation Petit Chablis enregistre même +89 % d’augmentation en volume alors que l’AOC Chablis fléchie pour sa part avec une légère baisse de 3 %, toujours en volume. Ce qui ne freinera nullement les irréductibles.
L’idéal d’un bon verre de Chablis ? Il naît de cette dynamique naturelle issue de la symbiose « minérale » de climats et autres lieux-dits, d’un cépage qui s’y métamorphose et y vibre avec toutes les subtilités de l’arc-en-ciel et d’une vigneronne/vigneron sensible à l’illuminer de l’intérieur en le bichonnant sans trop d’artifices ni interventionnisme démesurée. Portraits de quelques maisons qui saisissent non seulement cette philosophie mais qui sont aussi de véritables ambassadeurs du grand vin de Chablis à l’étranger.
Domaine Pinson. Charlène Pinson nous reçoit chez elle avec un large sourire, à ce point contagieux qu’il dessine la même expression de bonheur à la dégustation du magnifique millésime 2022 de ses Petit Chablis, Chablis 1er Cru Vaillons, Forêts, Montmain, Fourchaume et Les Clos Grand Cru dont on peut presque apercevoir le vignoble pentu de la maison. S’il est dorénavant officieusement interdit de parler de vin « féminin » en raison de l’annulation sournoise du sens des mots pourtant cantonnés dans tous les dictionnaires de la langue française depuis François Rabelais (fin de l’édito), il n’en demeure pas moins que les vins de la dame ruissellent tous de sensibilité et de réalisme, suggérant des signatures terroirs rapidement identifiable tout en étant personnalisées. Son climat Forêts et ses vieilles vignes (70 ans !) est un hommage aux argiles bleues qui lui dégrafent lentement mais subtilement le corsage, exposant une incroyable énergie fruitée derrière. Son Vaillons est un poème avec ses notes abricotées de chèvrefeuille à peine « vanillées » par un soupçon de bois. Le Mont de Milieu sur la Rive Droite du Serein est la preuve même qu’avec 10 % de fût neuf, il est tout à fait possible de réaliser des équilibres qui ne coupent pas l’herbe sous le pied des sous-sols aux accents fortement minéraux. Enfin, déguster un grand cru comme Les Clos dans un millésime 2022 relève de l’infanticide tant ce seigneur, à la fois précis, droit, profond et assuré, semble vouloir se refermer dans sa coquille (la fameuse Exogyra Virgula) pour mieux rebondir dans 5, 15 ou encore 15 ans. C’est maîtrisé, long et racé. Charlène, toute « féminine » qu’elle soit a incontestablement un avenir radieux devant elle!
William Fèvre. Si les très enviables parcelles (au nombre de 90) du grand vignoble de 70 hectares appartiennent toujours à William Fèvre, le nom de la maison est passé depuis 2022 aux mains des Domaines Barons de Rothschild Lafite dont Saskia de Rothschild a depuis reprit les rênes. Didier Séguier que j’ai toujours connu sur place depuis 1998 y est un directeur général adjoint très savant mais jamais pédant, comme s’il découvrait encore avec nous les subtilités des nombreuses cuvées qu’il élabore avec une minutie d’horloger suisse. L’homme sait de quoi il cause. Ses vins ont du tranchant et ont la gueule de l’endroit comme par exemple cette cuvée Les Lys en 1er Cru (1 Ha tout au nord du climat Vaillons) dont la verticalité, la largeur et la structure évoque le style de ses pairs de la Rive Droite du Serein. Ce sont quelques 800 000 cols qui sont produits ici, dans un esprit diamétralement opposé à celui de William Fèvre (1959) dont l’appétit pour le bois neuf le distinguait nettement des vins de ses collègues. L’homme avait cependant un flair exceptionnel en s’appropriant parmi les plus belles parcelles chablisiennes. Didier Séguier en respecte en tous points l’héritage posthume en misant toutefois sur une empreinte boisée devenue aujourd’hui des plus subtiles. Les 2022 sont évidemment captivants. Du Petit Chablis au Chablis (50 parcelles pour une moyenne de 45 ans, sur sous-sols kimméridgiens) d’une sensuelle salinité, au climat Beauroy, tactile et sapide, dont on sent quelques affinités avec le climat Troèsmes tout près. Il y a aussi Montmain (3,8 Ha sur 10 parcelles dont Forêt et Butteaux) dont les maturations tardives tracent un profil où tension, vigueur et finesse jouent sur la longueur. Si le Fourchaume (avec ses 3,6 Ha sur le climat Vopulent) demeure hautement texturé et généreux en raison de ses assises sur marnes kimméridgiennes, le 1er cru Montée de Tonnerre (2,2 Ha et tout le caractère condensé ici de Jessica Harnois !) y va de puissance sur fond de fruité bien maillé avec la teneur minérale des lieux. Le Vaulorent ? Juste au-dessus du GC Les Preuses, il demeure l’un de mes climats préférés en raison de de cette alternance énergie/puissance incontestable. Les Preuses du pauvre en quelque sorte ! 33 hectares en 1er et Grands Crus s’inspirent désormais d’une agriculture biodynamique alors que le domaine se voyait certifié bio en 2023. Mes ***** du domaine ce jour-là ? Valmur, Les Preuses, Les Clos et Côte de Bouguerots, orthographié « boquero » en 1537 ou encore, « bouguerot ».
Domaine des Malandes. L’importateur Jean Parent de l’agence Réserve & Sélection invitait y a quelques décennies Lyne Marchive de ce beau domaine à fréquenter les tablettes de la SAQ. Je la rencontrais chez elle à l’époque où son compagnon élaborait encore les vins. Le bonheur ne cesse de croître aujourd’hui en regard de la conversion bio déjà accomplie depuis de nombreuses années. Ce sont sa fille Amandine (aspect commercial) et le fiston Richard Rottiers - dont la production en tout point impeccable en appellation Moulin-à-Vent en Beaujolais depuis une dizaine d’années n’est plus à démontrer - qui assurent dorénavant les destinées du domaine. Pour le dire simplement : J’ai été chaviré de la haute précision des vins dégustés avec Amandine, comme si tout le méticuleux travail sur le terrain portait aujourd’hui ses fruits. Bravo Lyne Marchive ! Bravo aussi et surtout à l’équipe dont l’œnologue Guénolé Breteaudeau entré au domaine en 2006 dont la sensibilité épouse à la fois celle des lieux-dits, parcelles et climats et celle d’Amandine et de Richard pour qui le chablis doit se situer dans l’expression fine de ceux-ci tout en en valorisant les potentiels insoupçonnés.
Déjà le Petit Chablis est grand. Immense même par son éclat, sa pureté. Prélevé dans la commune de Beines sur 3 hectares, il est déjà une carte de visite fort enviable qui témoigne qu’on ne néglige ici personne, qu’il soit au niveau du grand cru – le Vaudésir avec ses 77 ares répartis sur 2 parcelles est un bijou de civilité – comme du petit chablis situé tout au bas de la pyramide en passant par l’intrigante cuvée Envers de Chablis (1,65 Ha situé au fond de la vallée du grand cru Vaudésir) au profil fort lumineux et dont l’intensité minérale s’accommode à merveille d’un soupçon de bois neuf.
Et puis il y a ces Vau de Vey (1er cru) au profil géographique très pentu et plutôt « froid » de climat dont on sent la forte tension étirée à la verticale une sève fruitée qui ne manque pas de consistance, de tonus. Les Montmains (1er cru) nichés en haut de coteau sur des sols pauvres et bien que plus austère, ne manque pourtant nullement de charme avec ses nuances de pomme et de poire vanillé. Enfin le Fourchaume (1er cru) souffle pour sa part le chaud et le froid, par son exposition sur la Rive Droite et la diversité de ses climats (Homme Mort, Vaupulent, Côte de Fontenay), sa présence et son ampleur au nez comme en bouche avec, à la clé, encore une fois cette tension minérale sous-jacente. Le Domaine des Malandes est, avec celui de Fabien Moreau présenté plus bas, l’un de mes coups de cœur 2024.
Domaine Christian Moreau Père & Fils. À mon arrivée, Christian Moreau père, s’amusait comme un enfant à déplacer des palettes dont une destinée au marché québécois (yé!) alors que son fils Fabien, en charge du vignoble depuis 2001, nous fait une tournée des lieux. « Nous sommes certifié par Écocert en agriculture biologique depuis 2013 », nous apprend Fabien dont les 12 hectares en Chablis Grand Cru seulement (dont une parcelle de 3 Ha d’un seul tenant dans Les Clos seulement) ont de quoi lui donner un minimum de sens des responsabilités. Rassurez-vous, Fabien connaît bien le patrimoine qu’il a entre les mains et n’est pas près de le gâcher. Tout le contraire !
Le fil d’Ariane semble ici plus qu’ailleurs filer finement à même une veine minérale que l’on cherche, en complément de la maturité des chardonnays, à constamment valoriser. Tout l’art réside ici dans le fait de fermenter et d’élever en fût ou en Wine Globe (boule de verre d’une contenance de 220 litres) sans altérer le message minéral des nombreux crus dont dispose la maison. Il y a bien sûr le Chablis « Les Pargues » situé Rive Gauche à proximité des 1ers crus Montmains et Vaillons qui donne déjà le ton. Il y a aussi, en plus du GC Les Clos, le Clos des Hospices, monopole familial acquit par l’arrière arrière-grand-père en 1904 qui se veut être à lui seul un grand cru à l’intérieur du grand cru Les Clos. Un cru dans le cru quoi. Ajoutons, toujours en GC Valmur (2 parcelles sur roche mère affleurante, le tout fermenté pour 50 % en fût), Vaudésir et Blanchot (10 ares de vieilles vignes seulement tout en haut de la pente) ainsi qu’en 1er cru Vaillons l’extraordinaire « Cuvée Guy Moreau » sur un hectare et dont les ceps plantés en 1922 aux rendements de misère livrent un vin époustouflant de textures et de profondeur fruitées. À noter que sur les cinq hectares en Vaillons, plus de 50 % sont ici d’âge vénérable. Bref, du chablis qui vous met de la broue dans le toupet! Je quitte Fabien et son père avec un verre du Clos des Hospices dans mes mains mais surtout dans ma tête où il déploie une magie empreinte tout à la fois de force et de finesse, de générosité et de densité mesurée. Rarement telle sève m’a-t-elle transportée avec autant de liesse. Oui… ***** !
En attendant la suite, une suggestion de lecture : Aux éditions Segrave Foulkes, le très pertinent livre de la Master of Wine Rosemay Georges The wines of Chablis and the grand Auxerrois.