Robert Mondavi aura noué, dans sa quête d’excellence prisant l’élégance et la finesse des vins, des partenariats au Chili en 1995 avec Eduardo Chadwick et, quelques années plus tard, du côté de l’Italie en 1999 avec le Marchese Lodovico Antinori (Ornellalia). L’intuition de ce pionnier allait révéler à la face du monde que les « vieux pays » n’étaient pas les seuls à disposer de ressources pouvant accoucher de grands crus. L’homme avait du flair.
J’en ai pour preuve cette fameuse dégustation tenue à Berlin le 23 Janvier 2004 où un jury d’experts s’était frotté à l’aveugle à l’élite des grands crus dont Latour, Margaux, Lafite et autres Sassicaia de ce monde pour consacrer à la fois Viñedo Chadwick 2000 et Seña 2001 respectivement en 1ère et 2e place devant Lafite 2000 (3e) et Margaux 2001 (4e). Si une hirondelle ne fait pas le printemps, une dégustation à l’aveugle n’autorise nullement d’officialiser un classement. Mais tout de même ! Cette consécration allait faire jurisprudence.
C’est ce que je constatais de nouveau cette semaine en dégustant les icônes maison Viña Errázuriz avec le fort sympathique Eduardo Chadwick. Des vins qui, depuis des décennies de dégustations, pour ne pas dire de fréquentations heureuses, ne cessent de s’affiner. L’exigence manifeste de Chadwick et de son équipe n’est certes pas en berne, au contraire ! Pour le dire sans flagornerie, la maison Viña Errázuriz s’inscrit au top 5 parmi les entreprises viticoles à l’œuvre au pays du grand Pablo Neruda.
Le fondateur Don Maximiano Errazuriz avait tout autant de flair en fondant, en 1870, à 90 kilomètres au nord de Santiago dans la Vallée de l’Aconcagua, un vignoble dont les nombreux parcellaires tracent le portrait d’une batterie de vins de caractère mais aussi de cette finesse dont se prévaut Chadwick, à l’image des Mondavi, Rothschild (Opus One) et Antinori.
« Nous avons travaillé avec une pédologue bourguignonne au tournant des années 2010, ce qui nous a permis dès 2012 de replanter tout en s’assurant d’une meilleure adéquation cépage/microclimat, une espèce de fine tuning qui porte aujourd’hui ses fruits », me confiait dans une entrevue téléphonique à l’époque l’œnologue Fransisco Baettig, avant de poursuivre « C’est à cette même période que le style des vins a changé, privilégiant une approche plus élégante avec des vins moins riches et concentrés tout en maintenant une maturité juste. Une démarche plus pointue au vignoble a été nécessaire car il ne suffisait pas seulement de mûrir des baies mais de les protéger, encourageant la vigueur tout en réduisant l’effeuillage ».
Les vins dégustés prouvent hors de tout doute que nous atteignons ici un sommet, aux antipodes d’une production chilienne qui, dans les années 1980, inondait le marché québécois de vins peu subtils, concentrés et patauds. On est en effet à des galaxies du fameux Gato Negro qui ouvrait la voie à une production de masse qui allait aussi nuire à l’image de marque des vins chiliens. S’il demeure que ce soit de moins en moins le cas aujourd’hui en 2024, reste que le mal est fait et que la SAQ tarde encore à inviter en tablettes le meilleur de la production actuelle. À l’image par exemple de l’Australie qui, à la même époque, s’engageait dans cette même voie de vins sans vices ni vertus, à petits prix. Bref, un gâchis annoncé.
Heureusement, même modeste, il existe de beaux spécimens à moins de 20 $ comme par exemple cette cuvée Arboleda 2020 (19,30 $ - 10967434 – (5) *** ©) de l’écurie Chadwick. Un cabernet sauvignon pur-sang, à la fois fin et fougueux, corsé mais aussi délié, pourvus de tanins fruités frais et digestes. Une cuvée qui profite des courants frais acheminés d’ouest en est dans la Vallée Alconcagua et générés par le courant de Humboldt du Pacifique tout près.
Ce sont ces mêmes courants froids qui ventilent vers l’est, à l’intérieur des terres dans cette même Vallée de Aconcagua, le vignoble Seña de 42 hectares où les grands cépages classiques bordelais (incluant le carmenère) s’affinent et parviennent à créer une symbiose parfaite entre fruité, structure et fraîcheur, sans surenchère de puissance ni de boisé trop appuyé. C’est le cas de cette cuvée Seña d’un grain, d’une sève, d’une longueur qui témoigne de la race du cru dans ce grand millésime 2021 dont on n’a pas encore fini d’entendre parler.
La perle dans l’écurie de Polo (les Chadwick se distingue dans ce sport) demeure sans conteste ce Viñedo Chadwick 2021, Vallée de la Maipo. Le vignoble de Puente Alto planté en 1992 et culminant à 650 mètres au pied des Andes dans la Vallée de la Maipo, tout juste au sud-ouest de Santiago, semble être un lieu de prédilection pour le cabernet sauvignon qui trouve ici, avec un complément de 3% de petit verdot, une expression aussi racée qu’aristocratique. Cette cuvée impressionne. Fortement. Ce 2021 (554,25 $ - 15333481) tient tout simplement du grand millésime et semble marcher dans les pas du 2000 en raison de sa facture très classique. Sans être opaque, la robe tranche par sa luminosité et sa jeunesse. Même impression de transparence sur le plan aromatique, avec cette cohésion fruitée, épicée, florale et boisée. La bouche est magnifique, fine et élancée, vivante et harmonieuse, pourvue de tanins soutenus, bien frais mais aussi fort civilisés, raffermissant une finale minérale (graphite) de caractère, d’une admirable longueur. L’archétype même du cabernet sauvignon qui, du haut de sa monture, regarde l’horizon avec tout autant de détermination qu’il offre un fruité capable d’en baliser longuement l’expression dans le temps. Grand vin, à la fois digeste, d’une race indéniable. Quand le bonheur n’a pas de prix ! Exceptionnel (10) ***** ©
De grands vins
Définir le grand vin est peut-être une question de mots choisis mais en saisir la portée dans le temps le résume à mon sens plus amplement. Un grand vin est comme une comète qui traverse le cosmos : Sa traînée lumineuse marque tout autant notre rétine qu’elle allonge longuement en nous le rêve sans vouloir le dissiper. Les Chadwick et leur équipe – un grand vin ne se fait pas seul ! – y perçoivent en ce sens cette adéquation parfaite entre cépages, terroir, microclimat et biodiversité avec, pour consécration ultime, cette capacité pour le vin de se bonifier en bouteille dans le temps. Des vins « queues de comètes » à émouvoir tout astronome-gastronome qui sait conjuguer rêves et… réalités !
Je dois rendre compte ici de la générosité de la maison pour l’exceptionnelle dégustation proposée récemment dont, entre autres chose, cette cuvée Viñedo Chadwick 2000 servie à Berlin en 2004 et dont les tanins satinés, sapides et savoureux arboraient tout le panache, la sophistication et la parfaite harmonie du grand vin, à l’image du Château Margaux dans le même millésime.
La suite n’était pas piquée des hannetons. Don Maximiano Founder’s Reserve 1987, 2011 et 2021 (le 2018 – assemblage de cabernet sauvignon, malbec, carmenère et petit verdot – est disponible à 94,75 $ - 14574890) aux nuances mentholées, épicées et réglissées longues et profondes (****); Kai 2011 (104, 75 $ - 15376801 – (5+) ****) et 2021 (94,75 $ - 15376781- (10) ****), pur carmenère aux notes herbacées de poivre blanc, rouge vigoureux et puissant, de forte personnalité, aux tanins mûrs et généreux; Seña 1998 (n.d. – (5) ****1/2), 2011 (236,75 $ - 15376772 – (5+) ****1/2 ©) et le 2021 (213,25 $ – 15333650) où les 50 % de cabernet sauvignon dans l’assemblage témoigne de la suprématie de ce grand cépage dans ses terres chiliennes. Un petit monument à faire saliver un bordelais qui reconnaîtra ici l’assemblage complexe et l’élevage sophistiquée qu’il pratique chez lui. Mais en plus large, en plus démesuré, sans toutefois verser dans l’excès ou la vulgarité. Tanins mûrs et abondant, sève fruitée riche, très fraîche, multipliant sans fin les épaisseurs. (10) ****1/2 ©).
Enfin, la cuvée Viñedo Chadwick proposée dans les millésimes 2000, un rouge tout simplement royal, aux nuances profondes et détaillées de Havane, de cèdre, d’encens, d’épices rares et de cassis et dont la bouche, finement ourlée, illustre l’idée même que l’on se fait du mot finesse. A encore de beaux jours devant lui mais si vous en avez en cave, tentez votre chance maintenant… Grand vin ! (n.d. – (2) *****). Le 2014 (605,25 $ - 15376764) s’illustre comme un cabernet sauvignon souligner avec rigueur et clarté, maintenant, au nez comme en bouche, une pureté d’expression soulignée par une exceptionnelle vitalité d’ensemble. Le tracé y est quasiment épuré, fort sapide mais aussi détaillé et encore bien maillé de beaux tanins mûrs. Il atteindra son plateau à mon sens en 2030 pour ensuite se conserver plusieurs années encore (10) ****1/2 ©.
SUR LE PLAN NOTATION
Le vin est noté dans l’absolu
et non dans sa catégorie sur une base de ***** avec des 1/2 *
* : Peu inspiré
** : Correct
*** : Bon vin
**** : Grand vin
***** : Exceptionnel
Quand le boire ?
(5) : À son meilleur d’ici 5 ans
(5+) : Gagnera à se bonifier après 5 ans
(10) : Atteindra son plateau de maturité après 10 ans
© : Gagnera à séjourner en carafe
À noter que toutes évaluations et notations sont relatives.
Elles s’inscrivent dans une idée de temps, de lieux, de circonstances, de qualité d’échantillons et bien sûr de l’humeur – bonne ou mauvaise - du dégustateur !
À noter aussi que TOUS les échantillons reçus sont dégustés par l’auteur. Ils sont complétés d’achats ponctuels à la SAQ.
Les quantités disponibles peuvent fluctuer d’une succursale SAQ à l’autre.
Merci! Très édifiant comme toujoiurs.