Des nouvelles de Claire Villars Lurton, 35 ans plus tard !
Surtout qu’elle a mis depuis les pieds en Amérique…
Il était temps de prendre des nouvelles de Claire. Mais 35 ans plus tard, ne fait-on pas face à un déficit d’attention ? Elle était déjà ma vigneronne de l’année en 1986, la voilà qui s’inscrit au palmarès de la Vigneronne de l’année 2024, titre décerné par la Revue du Vin de France. C’est pas trop tôt à mon avis ! Elle était récemment accompagnée au Québec par Philippe, l’un de ses trois enfants dont le père, *Gonzague Lurton, porte fièrement l’étendard du superbe Château Durfort-Vivens en appellation Margaux. Une succession déjà active, que ce soit en appellation Margaux et Pauillac à Bordeaux ou encore, dans la Vallée de la Sonoma avec le Domaine Acaibo (2012) dont les premières cuvées arrivent tout doucement chez nous.
Mais revenons en 1986 avec Claire. Je me permettais ces quelques lignes à son sujet à l’époque. Claire Villars semble aussi à l'aise à faire du vin qu'à en boire et surtout en parler. En parler longuement, amoureusement, par petites touches rapides et précises, allant directement au cœur du terroir pour mieux s'approprier le vin et le nommer tel qu'il est, dans son intégrité naturelle, sans fard et surtout sans histoire. « Mon cœur est à Chasse-Spleen », me confiera-t-elle cependant, le Chasse-Spleen de son enfance mais aussi le Chasse-Spleen d'où se sont éclipsés prématurément ses parents en 1992 et dont elle a dû, dès l'année suivante, reprendre la barre à titre d'administratrice. Tout cela alors qu’elle est dans la jeune vingtaine et qu’elle poursuit des études de chimie-physique à Paris.
Retour donc dans ses terres médocaines. C'est d'abord le Château Chasse-Spleen, Cru Bourgeois d'exception situé à Moulis avec 80 hectares de vignoble dont six hectares de vieux petits verdots épargnés des gels de 1956, « un grand terroir livrant des vins de grande personnalité, généralement austères en primeur mais qui peuvent se bonifier plus de 20 ans dans les grandes années », me dira Claire dont on sent la passion secrète. J'ai pour ma part souvenir de sa mère Bernadette, une femme énergique et déterminée rencontrée lors de mon séjour à Bordeaux en 1985, qui a fait de Chasse-Spleen, depuis son acquisition en 1976, le fleuron de la famille.
C'est aussi La Gurgue à Margaux acquis en 1979, encore une fois mis en valeur avec beaucoup de panache par Villars mère et ensuite par Claire qui en a repris le flambeau sans faillir, une propriété de 12 hectares offrant des vins concentrés, toujours élégants sans que le boisé n'intervienne indûment; Haut-Bages Libéral à Pauillac en 1983, «un vin de velours, authentique, au caractère plus minéral - la proximité de Latour y est pour quelque chose»; Ferrière en 1992, dont les huit hectares à Margaux permettent à la jeune Villars de bichonner un vin toujours hautement aromatique, fermement boisé en jeunesse (75 % de fût neuf) et d'un irrésistible ensemble soyeux à l'évolution. « Un vin plus féminin mais capable de bien vieillir », me dira-t-elle.
Passage en bio et en biodynamie
« La biodynamie permet d’obtenir des vins d’un velours de tanin mais aussi d’une précision accrue… tout en faisant chanter le terroir », disait la vigneronne en ajoutant qu’elle s’impliquait déjà dès 2004 au niveau du concept dans l’Entre-deux-Mers, une première à l’époque. « Si le bio doit être vivant, la biodynamie elle, EST le vivant ! ». Au total ce sont 140 hectares qui sont certifiés, que ce soit avec Durfort-Vivens mais aussi parmi les autres vignobles maisons. Mes souvenirs de bordeaux dégustés à la fin du siècle dernier n’étaient tout de même pas si mal – les blancs secs du Domaine de Chevalier de Monsieur Ricard ou le Margaux de Paul Pontallier avaient de quoi émouvoir tout de même - mais l’étalon de mesure des vins de cette époque correspond différemment avec cette nouvelle génération de vin obtenu par les truchements d’une biodiversité renouvelée (couvert végétal, agroforesterie etc.) et d’une approche peu interventionniste au chai.
Cette espèce « d’épuration » se poursuit avec les Lurton, en ce sens que le fruité y a gagné en éclat et en transparence, comme si on avait éliminé ces filtres qui s’opposaient entre la baie de raisin et le vin en bouteille, aiguisant du coup notre perspective de reconnaissance des finages et des parcelles, avec cette impression de boire un vin VIVANT, dépourvu du moindre maquillage. Nous avons dorénavant affaire à un vin qui « est » comparativement à un autre qui « veut être ». Ne dit-on pas d’ailleurs que l’esprit qu’on veut avoir gâche celui qu’on a ?
La gamme de vins dégustés s’inscrit dans cette démarche. L’acuité, l’éclat, la transparence et l’harmonie révélés ne sont pas étrangers avec cette « énergie aussi pratique qu’intelligente » déployée par Claire Lurton. En toute bonne scientifique qu’elle est, sa grille d’opération se fait bien sûr à coup d’essais et d’erreurs mais elle tient à soulever chaque pierre pour démontrer à la fois sa curiosité d’aller de l’avant tout en essayant de saisir les paramètres subtils qu’imposent cet équilibre tant recherché dans les vins. Son équipe la seconde les yeux fermés tant elle est bien soudée. Que ce soit du côté de Bordeaux comme en Sonoma. Peu de vins disponibles à la SAQ mais gardez l’œil ouvert. Ces vins racontent une passion mais surtout un avenir. Celui de ne plus revenir en arrière avec des vins certes excellents mais sans cette étincelle supplémentaire à la clef et ceux que la Dame met aujourd’hui de l’avant avec cette brillance ajoutée.
- Ceres 2021, Haut-Médoc (36 $ - 15411021). Le 2e millésime produit de cette cuvée 100 % merlot donne le vertige tant il est tout simplement bon. Bon à regarder, à humer et à boire, pour le croquant de son fruit que pour sa capacité à mettre en valeur les sous-sols calcaires qui l’illumine de l’intérieur. Quatre hectares de vignoble où se déploie l’agroforesterie et 14 mois de cuve béton pour un rouge qui annonce déjà le bordeaux de demain.
(5) ***
- La Chapelle de Haut-Bages Libéral 2020, Pauillac (n.d.). Les châteaux Latour et Pichon Baron vous disent quelque chose ? Ce second de Haut-Bages Libéral classé 5e cru en 1855 issu de sélections parcellaires où domine le merlot est accolé au terroir du premier tout en se poursuivant sur le fameux plateau du lieu-dit « Bages » derrière le second. Le fruité y est fort cohérent et la touche boisée fine mais c’est l’énergie dégagée par les calcaires et le séjour en cuves béton ovoïdes couchées (pour 70 %) qui lui assure cette dynamique nette et précise. Et quelle classe avec ça !
(5+) ***1/2
- Château Haut-Bages Libéral 2021, Pauillac (printemps 2025). S’il n’a pas gelé, il y a tout de même eu du mildiou dans ce millésime 2021, avec tout ce que cela comporte de traitements bios au vignoble. Un Pauillac féminin sans les guillemets encadrant le mot féminin ? C’est bien sûr le cas avec ce rouge émouvant de transparence, aux tanins somptueux habillement polymérisés (la chaîne moléculaire est ici si étirée qu’elle en devient suave au palais), d’un moelleux, d’une sève et, encore une fois, d’une fraîcheur des plus salutaires.
(10) **** ©
- Château Ferrière 2021, Margaux (printemps 2025). « Ferrière est l’antenne médocaine du mouvement aquitain de la biodynamie », avançait Claire Lurton. Ce rouge où le cabernet sauvignon domine (et ses petits verdots de 70 ans sur 1 hectare) se détaille en finesse tout en offrant déjà des tanins fruités de grande classe. Le volume y est parfait, avec, en filigrane, cette délicatesse et ce toucher de bouche des plus sensuels. J’en ferais bien mon vin du lundi soir !
(10 **** ©
- Château Durfort-Vivens, Les Parcelles « Les Plantes » 2019, Margaux (54 $ - 15092606).
Viticulture et vinification de précision avec identification forte des parcellaires (à l’image de la Bourgogne) dont les fruits sont embouteillés pour leur singularité. Ce lieu-dit « Les Plantes » est, avec ceux du Plateau, du Hameau, de La Nature et du Blanc de Noir, sans compter les parcelles consacrées au Grand Vin, une proposition étonnante du grand cabernet sauvignon. Ça respire sans fards et avec beaucoup de conviction le fruit mûr mais surtout bien frais tissé sur des tanins fins et bien serrés, évoquant le graphite et le zan sur la longueur. 80 % du vin est ici élevé en amphores.
(10) **** ©
- Château Durfort-Vivens, Les Parcelles « Le Plateau » 2019, Margaux (81 $ - 15209253 – I.P.). Ici les tanins abondants sont de la véritable poudre d’extraits secs tant ils sont fins et somptueux. Une cuvée actuellement plus austère mais promise à un avenir radieux. L’attendre serait judicieux.
(10) **** ©
- Château Durfort-Vivens 2021, Margaux (printemps 2025). Le cabernet sauvignon (ici pour 90 % de l’assemblage) y est tout simplement somptueux. Fruit frais, rose rouge, touche herbacée fraîche et tanins encore une fois très fins, légèrement toastés par l’élevage, confirment un ensemble tout à la fois racé mais aussi très émouvant, comme si on savait travailler la dentelle pour lui assurer un détail de précision inouïe. Émouvant, oui.
(10) ****1/2 ©
L’aventure Acaibo,
les pieds en Amérique !
Claire et Gonzague Lurton tentent l’aventure du Nouveau Monde en 2012, plus précisément en Californie où ils créent un vignoble de 10 hectares du côté de Chalk Hill dans le Comté de Sonoma. Le but envisagé ? « Adapter les techniques viticoles ancestrales de Bordeaux à l’environnement aride et aux sols volcaniques et pentus de Chalk Hill ». La même démarche d’agroécologie y est envisagée pour l’obtention de sols bien vivants avec toutefois une irrigation des plants de vigne très modérée. Cabernet sauvignon, cabernet franc et merlot offrent ici un assemblage fort pertinent dont les équilibres d’ensemble souscrivent aux mêmes impératifs de vitalité, de transparence et d’élégance que leurs collègues médocains. Plus d’une décennie plus tard – qu’est-ce d’ailleurs qu’une décennie dans la création d’un nouveau vin ? – il semble bien qu’une référence très pertinente en matière de vin a vu le jour chez nos voisins étasuniens. Surtout que ce rouge tient la route admirablement bien, comme en témoigne cette verticale d’Acaibo dont un 2017 (116,75 $ - 15228825) en grande forme, généreux et bien mûr, alliant intensité et profondeur sur des tanins fins et bien frais, aux nuances de graphite, de menthol, de cendre et de cassis. La naissance d’un grand vin ? Il semble bien que oui. Surtout un vin qui marque – du moins chez moi - un regain d’intérêt pour la production viticole au pays de l’oncle Sam. Merci les Lurton !
*Gonzague Lurton à Durfort-Vivens
Margaux
Durfort-Vivens c’est 65 hectares de vignes sur 4 villages de l'appellation Margaux : Cantenac, Soussans, Margaux et Arsac. Certifié en Bio et Biodynamie.
Graves situées sur 3 terrasses géologiques différentes, qui se déclinent en 28 familles, elles-mêmes divisées en 92 sous-catégories de sols.
Jarre ou amphore ?
Même récipient en terre cuite à la différence près que cette dernière n’a pas « d’oreilles » pour en faciliter le transport. Gonzague Lurton au Château Durfort-Vivens depuis 1992 en possède 180, de 350 et de 750 hectolitres. Impressionnant! Il n’est pas le seul. Jamais je n’ai vu pour ma part autant de ces récipients vinaires en Médoc, en compléments des barriques bien sûrs mais aussi d’une multitude de logements en béton de toutes les formes et de toutes les contenances. « Il y a une meilleure polymérisation des tanins dans ces amphores », résumait le vigneron qui, sous les conseils avisés de son cousin Jacques Lurton (Vignobles André Lurton) s’assure au final d’un emploi minimal de soufre (50 ppm au total) mais aussi d’une utilisation nettement plus restreinte d’eau pour les nettoyer. En biodynamie depuis 2012, les vins dont La Nature (18 mois sous amphores) sont aussi précis sur le plan fruité que délicat et sensuels de textures. Tout le charme immédiat d’un excellent Margaux.
Bonjour Jean! C'est toujours avec grand plaisir que je lis avec intérêt tes billets très étoffés basés sur ta vaste expérience vinicole. Celui-ci m'a rappelé de bons souvenirs, particulièrement lorsque tu abordes le domaine Acaibo des Lurton en Californie. Il avait d'ailleurs fait l'objet de l'un des mes articles sur mon blogue en 2017 où je commentais le 2e millésime de ce vin, soit le 2013. Pour tes lecteurs qui aimeraient en savoir davantage, voir ici: https://bit.ly/3vgh9h2
Continues ton bon travail!
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