« Si vivre ivre ne livre certes pas le meilleur de l’homme,
Vivre sans vin ne le livre pas non plus à son meilleur »
Baron d’Ervil
La consommation d’alcool serait en baisse au pays. Même les bulles se compteront au compte-goutte à Noël. L’offre mondiale dépasse désormais la demande. Cela aura t’il un impact sur les prix ? Pas en Bourgogne assurément ! La belle affaire. Quoi qu’il en soit, une certitude demeure : je vous fais ici le sarment, pardon, le serment, de continuer de m’adonner à ce vice qui, depuis les 10 000 dernières années, n’épargne nullement l’humanité toute entière.
La goutte de chardo qui fait déborder la carafe ? Cette aberration lexicale que même un réflexe papal ne saurait tolérer : LE VIN SANS ALCOOL. Rien ne permet déjà d’aligner dans une même phrase le mot « vin » et le mot « sans alcool ». Antinomique. Moi, ça me fait des démangeaisons atomiques dans la région des amygdales !
Avec le terme « vin sans alcool » nous faisons face à de la fausse représentation pour ne pas dire à un hold-up de sens car un vin contient nécessairement de l’alcool. Sinon il est (dé) classé comme étant une BOISSON. Cette hypocrisie s’avère tout de même payante pour l’industrie qui ne se gêne pas de vous faire rêver avec le mot vin alors qu’il s’agit tout bonnement de flotte. Vrai que c’est nettement moins sexy de parler de boisson sans alcool que de vin sans alcool. Aurais-je pour ma part sacrifié quatre décennies de mon humble existence pour vous entretenir de jus de raisin ? Vous me connaissez mieux que ça par cornegidouille !
Retour à l’hygiénisme ?
À quelques semaines de son 95e anniversaire, ma propre mère ne se prive toujours pas, lorsque la nuit l’étreint silencieusement, de siroter un large dé à coudre de bon cognac XO que je me fais un devoir, depuis des décennies déjà, de lui offrir. J’évite ainsi d’être un fils indigne. Ce qui n'est pas rien. Ma mère ne tord certes pas le cou de la bouteille ! Elle le fait avec une bonne dose de sérénité, parcimonieusement il est vrai, mais encore faut-il souligner qu’il s’agit tout de même d’alcool. La pratique dure depuis des décennies. Au dernier constat, elle n’est toujours pas à deux doigts de l’extrême onction. Foi de fiston.
Vous me voyez venir. L’actualité nous plonge de nouveau, à l’instar d’une énième privatisation de la Société des Alcools, dans ces sempiternelles et récurrentes diatribes sur les méfaits de l’alcool. Ne comptez cependant pas sur moi pour faire l’apologie de cette molécule - MORTELLE en majuscule et CH3CH2OH en chinois - sous prétexte que la communauté scientifique - du moins, un « courant » de celle-ci selon le bon docteur Martin Juneau – affirme qu’elle est aussi cancérigène que tout ce que la fonderie Horne a à offrir à la population locale en termes de cocktail revigorant. J’avoue tout de même que j’en ai personnellement souper de cette espèce d’hygiénisme wokiste à vous culpabiliser jusqu’à plus soif.
Essayons d’y boire clair
Assistons-nous ici à l’annulation d’une culture plus que millénaire sous prétexte de santé publique ? Vrai que le tribut est lourd sur le plan social comme sur les finances publiques et que la promotion de l’alcool, à l’image d’autres drogues, n’a pas sa place dans la communauté. Balayons-nous sous le tapis de la distillerie cette contribution raffiné qui, historiquement, a vu le jour sous la houlette des arabes pour être dûment identifié sous le vocable alcool (الكحل al-kuħl) ? Nier le produit relève d’une pudibonderie et d’une hypocrisie crasse. Selon la statistique qui met dans le même panier vin et alcool (alcoométrie de 40% et plus), 75 % des Canadiens entretiendraient un rapport plus ou moins intime avec le produit. Il serait peut-être temps de faire face à la réalité quitte à foutre la gueule de bois à la morale ambiante tout en « individualisant le risque et en faisant appel au jugement des gens ».
De toute façon, jeûne, privation, abstinence, disette – votre synonyme sera le mien – n’y feront rien sinon créer de la frustration chez celles et ceux qui s’y adonne sans y trouver une motivation qui se rapproche de la paix intérieure. Même une ration modérée (la fameuse et insoutenable modération) peut être la goutte qui fait déborder la carafe si votre équilibre, qu’il soit physique et/ou psychique, n’est pas au rendez-vous. Dans les deux cas, « dis-moi ce que tu ne bois pas et je te dirai comment je me sens par rapport à toi » pourrait être ce nouveau credo pour échapper à cette pression sociale aussi subtile que sournoise exercée sur quiconque s’adonne (ou s’abandonne) à la chose.
Osons enfin la métaphore suivante dont les rouages et mécanismes offrent tout de même quelques similitudes avec la chronique qui vous est proposée ici chaque semaine. Déguster un verre de vin qui nous touche c’est un peu comme la rencontre de deux amants. Les préliminaires de la dégustation avant tout pour entrebâiller le jardin des sens dans un premier temps, la reconnaissance en profondeur ensuite des fruits qu’il recèle pour jouir pleinement de tous ses sucs puis, à ce moment même où le vertige des sens part en vrille, atteindre cette fulgurante plénitude où l’on fait corps à la fois avec le vin et avec l’autre. Je soupçonne déjà qu’il ne vous viendrait nullement à l’idée d’abuser de l’un comme de l’autre.
Terminons avec le visionnement de la désopilante entrevue (https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpb7705092707/soignez-vous-par-le-vin) qu’accordait, dans les années 1970, le journaliste Stéphane Collaro au docteur Maury dont l’ouvrage « Soignez-vous par le vin » venait de paraître à l’époque. Le bon docteur Juneau risque de mourir… de rire !