Brève rencontre avec Laurent Drouhin…
… qui trace tout naturellement la voie à une autre visite, mais en Bourgogne cette fois !
J’avais raté notre rendez-vous bourguignon l’été dernier pour des raisons que seule ma coiffeuse aurait pu savoir mais voilà, elle n’était pas non plus à Beaune ce jour-là pour en partager les troublantes circonstances. Je m’en mords encore aujourd’hui les doigts (de pied celui-là) car Laurent Drouhin qui, bien qu’il n’était pas là lui non plus, avait tout de même eu l’élégance d’aligner une brochette très enviable de crus de la maison Joseph Drouhin du décoiffant millésime 2022 dont on se souviendra encore dans les décennies à venir. Bien au-delà du moins de ma prochaine visite chez ma coiffeuse.
Je rattrapais Laurent à Montréal autour d’une conversation sur le thème « Comment va la famille ? » et de quelques arrivages récents parmi une vaste sélection de crus issus d’une centaine d’hectares de vignoble dont dispose aujourd’hui la célèbre entité familiale fondée à Beaune en 1880. La maison Joseph Drouhin ? C’est Joseph au tout début, puis Maurice – qui achètera la première parcelle du fameux Clos des Mouches – Robert ensuite qui, en 1957 agrandit le domaine du côté de Chablis tout en achetant en Oregon (1987) où sa fille Véronique poursuit l’aventure du chardonnay et du pinot noir, avec cette french touch mêlant la mesure, l’élégance et le savoir-faire.
Une certaine idée du vin qu’endosseront aussi les frères de Véronique, que ce soit Philippe sur le terrain en Bourgogne avec le développement de la filière bio et biodynamique, Frédéric à la direction générale et enfin Laurent basé du côté de New York pour suivre les intérêts de la maison par l’entremise de Dreyfus, Ashby & Co., un distributeur qui a pignon sur rue dans la Grosse Pomme et entré dans le giron de Joseph Drouhin en 1985. Ce levier commercial permet à Laurent de veiller aux destinées de nombreuses maisons familiales situées aux quatre coins ronds de la planère vin et qui partagent, à l’image des Drouhin, une philosophie commune et pérenne de qualité et d’intégrité en matière de beau vin.
Un décalage culturel
Ouvrons ici une parenthèse. Les États-Unis ne sont pas la France. Histoire, mode de vie, dynamique relationnelle et goût culturel, plus spécifiquement pour les arts de la table y sont forts différents. Sans vouloir appuyer indûment sur leurs différences, il apparaît tout de même que le consommateur étasunien trouve son plaisir pour des vins porteurs de sensations immédiates, des vins qui marquent et s’imposent au palais, parfois au détriment de la subtilité et de la finesse.
Ce décalage culturel du goût, entre autres souligné par une presse locale du vin friande de sensations fortes en matière de couleur, de puissance, de structure et de réputations trop souvent surfaites - ne serait-ce que pour les prix démentiels qui leurs sont accordés (Screaming Eagle, Caymus Vineyard…) - oblitère du coup cette approche toute naturelle qui consiste à se laisser envahir par le vin, en prenant le temps de le saisir (le temps c’est de l’argent aux USA !), au lieu de subir cette espèce d’intervention musclée (des sens), comme le ferait par exemple le policier d’un malfrat.
Loin de moi l’idée toutefois d’écarter le fait que la production vinicole américaine ne livre pas la marchandise sur le plan de l’élégance, de la finesse et de la subtilité. Mais rien n’indique non plus - vu la tendance haussière des évaluations à l’échelle de 100 points décernées par cette même presse du vin – qu’elle porte aux nues ce même trio élégance-finesse-subtilité qui participe à une certaine idée que l’on se fait des vins, entre autres ceux de l’Hexagone et de l’Europe en général. Fermons ici la parenthèse.
C’est dans ce contexte qu’évolue Laurent Drouhin sur le marché américain, un contexte qui fait en sorte que tout n’est jamais gagné d’avance. C’est un marché compliqué où cavistes, grosses chaînes, distributeurs et monopoles sont à convaincre, de même que cette nouvelle génération de sommeliers portée sur les vins oranges et autres vins natures qui parfois, « lève le nez » sur des maisons d’envergure telle Joseph Drouhin. Fait-on ici affaire à une espèce d’amnésie partielle de l’histoire du vin de la part de ces mêmes sommeliers dont l’histoire se résume à celle qui se déroule au quotidien sur les réseaux sociaux ?
À ce compte, pourquoi ne lèveraient-ils pas aussi le nez sur ces autres ambassadeurs bourguignons de renom que sont les Jadot, Bouchard Père & Fils, Champy, Chanson, Bichot et autres Faiveley ? Quoiqu’il en soit, « Le marché des USA correspond tout de même grosso modo à 25 % de notre production pour une commercialisation qui englobe la majeure partie de nos appellations », souligne Laurent Drouhin tout en ajoutant que « Les USA et la France restent à ce jour nos deux marchés les plus importants ».
De ce côté-ci de la frontière, la SAQ ne s’y est pas trompée en proposant au consommateur et ce, depuis des décennies, ce qui peut être considérer comme étant le fer de lance de la célèbre appellation, ces maisons qui offrent tout à la fois des volumes (chose rare en Bourgogne), une qualité d’ensemble enviable mais aussi un prix attrayant qui permet encore de boire aujourd’hui un bon verre de Bourgogne. Sans le moindre décalage culturel à l’horizon !
En attendant l’arrivée prochaine du Clos des Mouches Rouge 2021 qui succède à un 2020 qui fera date, voici deux blancs à se mettre sous la dent et dont Laurent Drouhin n’est pas peu fier…
Mâcon-Lugny « Les Crays » 2022 (26,25 $ - 15082344).
La maison Joseph Drouhin faisait l’acquisition en 2023 du Château de Chasselas à Saint-Véran et du Domaine Rapet à Saint-Romain en Côte d’Or, sécurisant du coup des approvisionnements qui, en Bourgogne, n’ont jamais été sous si haute tension. Avec des prix qui le sont tout autant, bien que la maison ayant, auprès de ses collègues négociants, fait pression pour limiter l’emballement des cours pour le magnifique millésime 2022. On reconnaît avec ce mâcon le style classique et épuré de la maison avec ici des approvisionnements en fruits et en moûts de bon niveau, le tout doublé d’une vinification précise et doté de nuances florales et fruitées doucement arrondis par la texture. En tous points délicieux, sur une salade de crevette ou des légumes grillés.
(5) ***
Chablis Vaudon 2022 (35,75 $ - 15299789).
C’est aiguisé, brillant et maîtrisé. C’est le chablis qui chante avec subtilité mais aussi avec ténacité, sur ses terres de marnes et de craies blanches, enlevant comme une aile d’hirondelle qui vous frôle sans vous toucher, gracieuse dans ses arabesques chorégraphiées avec grand art. Nous sommes bien à Chablis, avec ce Vaudon, parfait ambassadeur de renom, signature d’une grande maison.
(5) ***1/2
Merci beaucoup Jean. J'ai eu la chance d'effectuer la visite des caves de la Maison Joseph Drouhin en mai dernier. Je recommande fortement cette visite (suivie d'une belle dégustation de 3 vins blancs et trois vins rouges de la Maison, dont Clos des Mouches!). Caves du 13e siècle magnifique.
Savez-vous pourquoi une si petite partie de la gamme est vendue au Québec? Si on fait la comparaison avec Jadot et Faiveley, notamment, la portion de la gamme de la Maison Drouhin disponible à l'amateur québécois est liliputienne, ce qui est fort dommage!