Bolgheri et Sassicaia :
Naissance, croissance et affirmation d’une appellation et d’un grand vin.
Elle n’est certes pas la seule à avoir vue le jour au XXe siècle mais l’appellation Bolgheri, dans la Maremma italienne, en bordure de la mer Tyrrhénienne demeure sans conteste le berceau d’un vin devenu aujourd’hui une référence absolue : Le Sassicaia de la Tenuta San Guido.
Le marché québécois fut d’ailleurs l’un des premiers à reconnaître, dès le début des années 1980, la spécificité de ce cru qui allait non seulement bousculer la hiérarchie des appellations italiennes mais qui allait révéler sur place au grand jour le potentiel du cabernet sauvignon planté à même un sol de graves fines. D’où le nom de « sassicaia » qui, en dialecte toscan, parle de sol pierreux. Alors sommelier sans tablier à l’époque, j’ai souvenir de ces Sassicaia et autres Tignanello vendus pour une bouchée de pain – on parle de moins d’une cinquantaine de dollars sur la carte du restaurant ! – à une clientèle qui n’hésitait pas à ouvrir ses goussets pour en boire.
Le marquis avait du flair !
L’histoire est édifiante à ce sujet. Dès les années 1920, le marquis Mario Incisa della Rocchetta, convaincu que le pinot noir et le cabernet sauvignon trouveraient, respectivement, en Italie du nord et en Italie centrale, à développer un beau potentiel de garde passe à l’action en plantant une parcelle du fameux cabernet dans le milieu des années 1940 à la Tenuta San Guido sise toute au nord de l’appellation, tout juste à l’ouest de la commune de Bolgheri.
Le vin qu’il en tire est à ce point conforme avec l’esprit qu’il se fait d’un bon bordeaux qu’il récidive en 1965 en fichant de nouveau, en contrebas du vignoble originel, quelques plants du cépage en question en y ajoutant aussi du cabernet franc. Le Sassicaia voit alors le jour avec une première commercialisation dès le millésime 1968. L’appellation Bolgheri Sassicaia sera adoubée en 2013, après celle, plus large, de Bolgheri Superiore pour ses rouges et ses rosés en 1994, soit 19 ans plus tôt.
Avec le recul, on constate que l’homme avait perçu d’instinct l’adéquation parfaite d’un cépage planté à quelques centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer sous les auspices d’un climat méditerranéen lumineux et bien ventilé. Avec comme résultat des vins qui n’ont rien à envier à leurs cousins bordelais d’ascendance Atlantique. Ce même cabernet n’atteint nulle part ailleurs en Italie ce mélange de puissance et de finesse qui consacre le grand vin.
Le Marchese Mario Incisa Della Rocchetta a vraisemblablement eu du nez car l’appellation Bolgheri DOC qui couvre aujourd’hui 968 hectares (sur les 2500 ha de la maison dont 120 hectares actuellement plantés) a vu les Antinori, Gaja, Satta et autres Frescobaldi suivent dans la foulée de la « star » originellement mise au monde par le grand œnologue Giacomo Tachis. Ici, le microclimat (méditerranéen avec luminosité importante) et le terroir spécifique (entre la Via Aurelia et l’orée de la forêt, à l’Est) garantissent cette espèce de tenue, de classe ainsi que l’aspect digeste des meilleurs vins. Quel que soit le millésime, la maison évite toute extraction poussée ou autre concentration démesurée en laissant le vin respirer entre les fines mailles tanniques de sa structure pour mieux souligner cette espèce de grâce naturelle qui n’est pas sans évoquer, en amont, une aristocratie de terroir certaine.
La fille du marchese, Priscilla Incisa Della Rocchetta, était récemment de passage au Québec avec quatre millésimes de Sassicaia sous le bras, complétés par le Difese 2022 (44,75 $ - 14549248) riche en cabernet sauvignon (pour 30 % de sangiovese), souple, invitant et harmonieux (5) ***1/2 ainsi que le Guidalberto 2021 (66,50 $ – 15215741) issu des jeunes vignes du domaine avec 40% de merlot dans l’assemblage, un rouge ample et bien mûr, d’une étonnante lisibilité, doté de tanins fins abondants et doucement serrants, avec ce qu’il faut de consistance et de fraîcheur. Bien plus que le Sassicaia du pauvre ! un 21e millésime époustouflant ! (10) **** ©
Le Sassicaia 2021 disponible à la vente actuellement en loterie à 301,75 $ (15382857) confirme non seulement un grand millésime mais il offre surtout un témoigne éloquent de la vision de Nicolò Incisa Della Rocchetta mais surtout de son paternel Mario qui balisait sa naissance. Certains diront que ce vin est destiné à l’élite, qu’elle soit buveuse d’étiquette, spéculatrice ou plus prosaïquement, à des amateurs qui aiment le beau vin, tout simplement. Relativisons tout de même côté prix. Il y a près de 10 ans, ce cru se négociait à 226,25 $ à la SAQ. À la même époque, le second vin de Lafite Rothschild (Carruades) était vendu près de quatre fois plus cher. N’y avait-il déjà pas là une certaine aberration ?
Quoiqu’il en soit, ce 2021 est un bijou d’harmonie, une perle à ajouter au collier des grands millésimes de la célèbre maison toscane. Cabernet sauvignon et cabernet franc (15%) « ventilés » sous 45 % de bois neuf respirent ici dans un contexte modulé avec une haute définition aromatique suivi d’un toucher de bouche idéal composé de tanins bien frais, nobles et savoureux, déclinant une rigueur qui évite toutefois d’être hautaine, encore moins condescendante. L’ensemble offre l’élégance et la profondeur des grands Bordeaux, avec cette luminosité, ce détachement naturel des grands terroirs de Bolgheri. Longue garde prévisible, dans l’esprit des 2016 à ce qu’il me semble. (10) ****1/2 ©